« Manger son pain noir », « Sortir du pétrin », « Gagner son pain », « Avoir du pain sur la planche »... Elles sont nombreuses, ces expressions qui montrent combien le pain symbolise le travail et l'abondance.
À Calais, le symbole vient de se transformer en réalité. Une « boulange » pas comme les autres, « Pain et Partage », s’apprête à donner leur chance aux salariés en difficulté d’insertion. La Fondation Transdev fait partie de l’aventure.
Il est près de midi, ce 3 novembre, quand Natacha Bouchart, Maire de Calais, coupe, sous un ciel radieux, le ruban de dentelle barrant l’entrée du fournil… Tout un symbole dans une ville où la dentelle donnait, au début du XXe siècle, du travail à 40 000 personnes. Si quelques fabriques perpétuent un savoir-faire qui continue de valoir d’éclatants succès à l’industrie française du luxe, elles n’emploient plus que quelques centaines d’ouvriers très spécialisés. Les locaux qu’on inaugure aujourd’hui sont d’ailleurs d’anciens ateliers de dentelle. Désormais, des milliers de pains en sortiront, pour alimenter cantines et collectivités environnantes.
Un tremplin pour l’emploi
Des milliers de pains, mais pas seulement… La boulangerie solidaire Pain et Partage qui vient d’installer ici ses fours ultra-modernes à bien d’autres objectifs. Le premier est justement d’accueillir et de professionnaliser des salariés en difficulté d’insertion. Pour cela, elle a d’abord embauché, sous contrat « classique », David, chef boulanger expérimenté.
Puis, dans la foulée, Arnaud, chauffeur-livreur sous contrat d’insertion à durée déterminée. Sous le même statut, le recrutement d’un boulanger supplémentaire est en cours. Quand le fournil tournera à plein, dans deux ans, il comptera 7 personnes en insertion.
« Des savoir-faire immédiatement valorisables »
« Il n’y a pas de chômage dans la boulangerie, où les entreprises ont les plus grandes difficultés à recruter, explique Anne Le Cerf, Directrice de l’association Cide-Lise, qui porte le projet. Grâce à notre statut d’entreprise d’insertion, nous pouvons donner leur chance à ceux qui n’ont pas peur de se remonter les manches et de travailler la nuit. Nous sommes aussi en discussion avec le seul lycée du secteur ayant une filière boulangerie pour accueillir, en plus des personnes en insertion, des apprentis en formation. Quand on travaille dans l’insertion, comme Cide-Lise le fait depuis des années, c’est particulièrement stimulant de transmettre des savoir-faire directement valorisables sur le marché du travail. »
Renforcer la filière bio
Mais l’ambition du projet ne s’arrête pas là. Tous les pains qui sortiront de l’ancien atelier de dentelle seront confectionnés à partir d’ingrédients 100 % bio, « sans additifs ni améliorants », selon l’expression consacrée. La farine est fournie par un moulin des Flandres, installé à environ 120 km.
Forte d’un débouché régulier, la filière agricole locale va donc pouvoir accélérer sa reconversion. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit autour de Marseille, quand la première boulangerie Pain et Partage s’est créée, il y a quelques années. Une fois le projet de Calais bien lancé, l’équipe veut faire encore plus en faveur de la qualité de l’alimentation, en participant à la redécouverte de variétés anciennes de blés, parfaitement adaptées à leur terroir.
Partenaires enthousiastes
Pas étonnant, dès lors, que le projet ait suscité l’adhésion, pour ne pas dire l’enthousiasme, de nombreux partenaires, qui l’ont permis de se concrétiser : la Région Hauts-de-France, intéressée par sa dimension formation et développement économique, le Département du Pas-de-Calais, investi dans le soutien à l’économie sociale et solidaire, et pas moins de 8 fondations privées, chacune attachée à l’un ou l’autre de ses aspects.
C’est la remise en mobilité sociale des personnes en difficultés d’insertion qui a amené la Fondation Transdev à prendre à sa charge l’équivalent d’un an de salaire du chef-boulanger. Pour manifester son engagement, elle était présente aux côtés des élus, le 3 novembre dernier, en la personne de sa déléguée générale.
Calais y croit
Tout au long des 5 années qui ont été nécessaires à Cide-Lise pour faire aboutir le projet, la mairie de Calais lui a apporté un soutien indéfectible, avec trois « coups de pouce » décisifs. Le premier, en 2014, en finançant, aux côtés de l’État, une partie de l’étude-action qui a rassemblé autour de la table tous les partenaires potentiels du projet pour lui donner son visage définitif.
Le second, au printemps 2016, en lui proposant les superbes locaux, qui font partie du patrimoine industriel de la ville et qu’elle a, peu auparavant, acquis et rénovés. Pendant deux ans, Pain et Partage ne paiera pas de loyers. Le troisième, en amenant ses 40 écoles à devenir clientes du nouveau fournil, dès janvier 2018.
« Atteindre l’équilibre financier »
« Même si ces coups de pouce étaient indispensables pour démarrer, nous n’oublions pas que sommes une entreprise d’insertion, ce qui veut dire que nous sommes avant tout une entreprise, souligne Anne Lecerf. À nous, maintenant, de trouver suffisamment de clients pour atteindre notre point d’équilibre financier, à environ 2000 pains par jour. Le cap est fixé pour fin 2018. Contactées, de nombreuses institutions et collectivités, comme les hôpitaux, se sont déclarées prêtes à franchir le pas. C’est comme pour le pain : la pâte est faite, elle va maintenant lever ! »
3 questions à… David Averlant, Chef boulanger
Comment devient-on chef boulanger de Pain et Partage ?
Il y a 9 ans, quand j’ai quitté mon métier dans le commerce pour passer mon CAP de boulanger, c’était déjà pour faire ce que j’appelle du « pain humanitaire ». Je voulais rejoindre au Vietnam des amis qui formaient des gamins des rues pour qu’ils puissent devenir boulangers dans les grands hôtels.
C’est très demandé là-bas. J’ai finalement repris, avec mon épouse, une petite boulangerie rurale près de Saint-Omer. Nous l’avons fait tourner, en bio, pendant 7 ans. Quand nous avons eu besoin d’une pause, j’ai repris un poste de gérant de magasin. C’est alors que j’ai entendu parler du projet de Calais. J’ai immédiatement pensé que ce poste était fait pour moi.
Pourquoi ?
Parce que j’y trouve tout ce qui compte pour moi : le pain, bien sûr, mais aussi l’encadrement d’une équipe, la formation des jeunes, la réinsertion de ceux qui ont décroché… Nous participons également au développement de l’agriculture biologique locale.
En fournissant les écoles, nous réapprenons aux jeunes générations le goût et la texture des bons produits, alors que les industriels en sont à leur vendre du pain de mie sans croûte. Et puis il y a Calais, qui a tellement souffert ces dernières années et où tout est à faire…
Quels sont vos projets d’avenir ?
Pour l’instant, c’est le présent qui compte. Nous sommes en phase de lancement et l’important, c’est de faire un pas après l’autre. 40 écoles attendent notre pain après les vacances de Noël : il ne faut pas les décevoir !
« La Fondation n’a pas l’habitude de soutenir des projets de cette taille, même si l’insertion est au cœur de son action en faveur de toutes les mobilités. L’enthousiasme collectif qu’il soulève nous a convaincu. J’ai rarement vu autant d’engagement et de dévouement de la part d’autant d’acteurs peu habitués à travailler ensemble.
Inauguration de la boulangerie industrielle bio « Pain et Partage Calais » de l’association Cide-Lise. Stéphanie Bachelet, déléguée générale de la Fondation Transdev.Au fond, c’est toute une ville, et avec elle son département et sa région, qui se mobilise pour écrire un avenir différent. Je sais d’expérience qu’il est difficile de mener à bien des projets aussi ambitieux. Cette aventure – car c’en est une ! – montre qu’avec du cœur, tout est possible. Après Marseille, Montpellier, Lyon et maintenant Calais, j’espère que l’on continuera de voir les fournils solidaires se multiplier… comme des petits pains ! »
QUELQUES CHIFFRES…
7 postes en insertion prévus
2000 pains par jour à plein régime